dimanche 5 décembre 2010

Coup de pompe

Constater que le temps s’accélère reste l’apanage des personnes d’âge mûr, des Milfs en quelque sorte. Pourtant, en se penchant un instant sur l’actualité politique, sociale ou artistique, on doit honnêtement se résoudre à ce constat.
Il y a encore quelques semaines, les fumigènes affrontaient les gaz lacrymogènes. Mais très vite, le manifestant dut acheter ses victuailles alimentaires et payer le loyer. Abandon. Le grand ballet des balais motorisés et des agents municipaux s’attela à laisser place nette. Résultat: un pétard mouillé. Fin de la contestation sociale.
Côté jardin et art, les news brûlaient plus intensément qu’un fatal radiateur. On ignore si le 2 octobre 2010, Noël Mamère distribuait dans sa bonne ville de Bègles des tracts pour la légalisation du cannabis. Par contre, à cette même date, une poignée de bégleux d’un soir vit distinctement le fougueux Cantat rejoindre ces terres maternelles et offrir un cadeau de Bertrand à tout un peuple rock & roll. Sept ans déjà, depuis le meurtre de Marie trintignant.
Deux mois également, depuis la Torture Garden qui émoustilla le tout Paris underground. À cette occasion, on découvrait la nouvelle icône du monde caoutchouté, le phénomène Rubberdoll. Comme moi, elle avait un temps de retard et surestimait la capacité française au désordre. L’affolée prévoyante stockait du gazole dans ses énormes seins. Une pompe vivante vous dis-je! Ses réservoirs étaient bouchés par deux pudiques croix de Saint André. Priorité à droite. La belle n’aime pas la CGT.


La Dame de latex

Des costumes en rouge et noir, ou vert kaki.
Des sourires qui ne veulent pas tomber et des lèvres qui s’étirent, sans cesse, sur les côtés.
Un feu d’artifice qui gicle des seins.
Un homme (celui de Rubberdoll) qui ressemble à un membre d’Indochine, de Kyo (cherchez sur Youtube, je vous assure que ce groupe aujourd’hui retenu dans les oubliettes, a réellement existé), Superbus ou Mozart l’opéra rock. L’heureux élu remix d’ailleurs le One Trip One Noise de Noir Désir pour illustrer le clip de présentation de sa dulcinée. Le blouson noir a le cuir dur.

Voilà l’Univers (mot préféré du jury des Nouvelle Star, Star Ac et autres…) de Rubberdoll. De la couleur, de l’humour, du fun!
Or, le BDSM (Bondage, Domination, Sado-masochisme) nécessite une certaine subversion. Peut-on tolérer que le porno-extremo devienne, aussi facilement et avec autant d’élégance, porno-rigolo? Peut-on démocratiser la pratique interdite? Le grand jour ne risque-t-il pas de consumer ces vampires tout de latex vêtus?
Effectivement, la nature même du trash exige la confidentialité, la cachette.
La première raison est extra-porno: la société ne peut tolérer que des personnes se « maltraitent ».
La seconde raison se situe, au contraire, intra-porno. Puisque la société doit réprimer le trash, le dominant se trouverait freiné, en pratiquant au grand jour, par des interventions policières ou la vindicte populaire. Le dominé, lui, éprouverait un sentiment de sécurité et son plaisir s’en trouverait amoindri.
Dans cette histoire, la clandestinité met tout le monde d’accord. On peut parler d’accord gagnant-gagnant: concept cher à Ségolène Royal. À propos, qui n’a jamais rêvé de ligoter sensuellement la très sexy souveraine du Poitou? De la gaver de chabichou? De l’entendre crier: « Assez d’AOC! Assez d’AOC!»

Avec Rubberdoll, on se trouve face à un BDSM qui reste underground mais recherche la joie populaire, le rire communicatif. L’artiste voudrait-elle, à la manière du phénomène Lady Gaga, immiscer une esthétique trash adoucie afin de conquérir le grand public? Non. Les œuvres de Rubberdoll restent pornographiques, donc interdites aux mineurs. Le marché se restreint. Ses robes en latex coûtent la peau du cul. Comme peau de chagrin, le marché rétrécie encore.
La plantureuse brune désire plutôt casser un certain élitisme arty et underground. Oui à l’art, non à la prétention. Car Rubberdoll, trop cultivée, ne peut méconnaître cette donnée de l’imaginaire BDSM développé dans la littérature et le cinéma, ce fantasme fondateur: le pervers vient de la haute, ou du caniveau.

Élitisme BDSM: la perversion en espace clos.

Trois films appartiennent forcément au bagage culturel de la nouvelle égérie latex: Belle de jour, Maîtresse et Pulp Fiction.

Dans Belle de jour (1967), Luis Buñuel malmène la superbe Séverine Sérizy (Catherine Deneuve). Ô joie! La blonde s’ennuie dans sa vie de bourgeoise parisienne et n’accorde son cul à son mari qu’à dose homéopathique. Pourtant, elle dit l’aimer. Alors, devant cette impasse, notre chère Séverine se réfugie dans des fantasmes masochistes. Finalement, elle se fait réellement embaucher dans un appartement bordélique quoique bien rangé et sentant la rose. D’abord hésitante, elle finit par bien s’entendre avec ses collègues prostituées. Sa double vie se déroule tranquillement lorsque surgit une racaille édentée, sorte de Joey Starr blanc (décidemment, on n’invente jamais rien). Il tombe amoureux d’elle et… téléchargez ce film de suite. Hadopi? C’est du bluff!
Bref, on retrouve ici le fondement du fantasme BDSM par excellence: le bourgeois désire s’encanailler.

Même technique dix ans plus tard dans Maîtresse (1976). Barbet Schroeder nous montre un pauvre couple Depardieu/Ogier (Bulle de son prénom, important pour la suite). La pauvre fille tant actrice que victime de la décadence parisienne, s’acharne à préserver la pureté de son amour naissant avec Depardieu, un provincial inexpérimenté. Oui, notre Gégé en candide. Y croit-on?
Le bourgeois vient se soumettre à madame et Depardieu finit par assister son amoureuse dans ses pratiques interdites. Schroeder garde l’entité bourgeois mais remplace le voyou par le paumé. Une fois encore, ce monde-là est inaccessible à l’individu lambda.

Dernière grande œuvre: Pulp Fiction. Film totalement grand public. Palme d’or 1994, note maximum sur tous les magazines télé lors des rediffusions cathodiques, triomphe critique et commercial. Le succès total.
Pourtant, Zed sodomise bien profond Marsellus Wallace pendant que son acolyte, l’archétype BDSM, attend patiemment ligoté et sage. Le public, aussi grand soit-il, se sent gêné mais finit par rire aux éclats devant une scène… de viol.
Tarantino lui-même pousse le caractère hilare de cette scène. Les répliques claquent et Bruce Willis, comme dans un jeu vidéo, prend le temps de choisir ses armes. Pourtant, répétons-le, on assiste à un viol. Quentin construit une scène malsaine mais le public ne retient que les blagounettes. Le piège fonctionne.

Du film d’auteur (réputé intellectuel) au film mainstream de qualité, on retrouve toujours la même recette, le même type de création de personnages. La pratique sexuelle extrême est réservée aux riches (qu’on aime s’imaginer particulièrement pervers) ou au voyou et au marginal. L’extrême exclue le pratiquant « normal ».
Le phantasme BDSM ne peut se permettre d’accepter en son sein les nuisibles ouvriers, ouvriers qualifiés, cadres inférieurs, boulangers, pâtissiers, tapissiers, agents de recouvrement du Trésor Public, professeurs de psychologie appliquée, cavistes, éboueurs, pilonneurs, spécialistes des moines norvégiens du XIIe siècle, confectionneurs asiatiques de chaussures old school Nike, mannequin de mollet droit ou de triceps gauche pour photographe du catalogue La Redoute, plombiers… Quoi que? Nos amis docteur es tuyauterie sont les nouveaux Crésus. Le cercle BDSM s’ouvre à eux.

La Révolution Rubberdoll

Devant ce triste constat, on attendait un vengeur masqué révolutionnaire. Rubberdoll!
La reine caoutchoutée ne désire pas crever la paroi de la grotte BDSM pour y laisser entrer caméras, photographes et casseurs de délicatesse torturo-érotique. Elle veut plutôt flécher simplement, avec humour et détachement, le chemin que chacun peut tranquillement emprunter, à son rythme, pour découvrir le monde épanouissant du BDSM.
Elle démocratise la pratique sexuelle bizarre.
Elle rassure car elle rit. Elle rassure car elle ressemble à une attraction de cirque, à un clown sympathique. Elle rassure car elle avoue spontanément au journaliste de Tracks: « Je ne suis pas une dominatrice ».

http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/tracks/3460994.html

Avec Rubberdoll, l’individu lambda peut parfaitement intégrer le microcosme BDSM. La belle fait tomber le fantasme de la communauté underground constituée soit de bourgeois décadents, soit de racailles. Elle accueille la normalité.

Les portes sont ouvertes! Les nouveaux participants doivent maintenant s’adapter au jeu, et non l’inverse. Tout cela doit se dérouler en douceur pour le bien-être de chacun. Pour y arriver, le BDSM doit préférer l’imagination à la domination. En effet, les pratiques spectaculaires du bondage ou de la soumission ne représentent qu’un élément d’un scénario convenu entre les différents protagonistes. Imaginons par exemple une scène où la femme doit dominer l’homme. Le schéma est classique. Mais, il faut imaginer pourquoi l’homme va être puni, comprendre quel est son « crime » et les liens qui unissent les deux personnages… Bref, conter avant de dompter.
Alors, on ne se trouve plus vraiment dans un rapport de dominant-dominé mais plutôt dans une entente entre deux acteurs qui incarnent chacun un rôle.
Voilà une nouvelle rassurante. Ces nouveaux pratiquants du BDSM trouveront leur plaisir dans l’incarnation d’un personnage imaginaire. Ils préféreront le jeu de rôle aux coups de fouet.
Alors, la princesse plastique invente des costumes et accessoires qui ne peuvent que fluidifier l’imagination. On pense par exemple à ses ravissantes reconstitutions latex de casquettes de l’armée rouge ou à ses uniformes vert-Wehrmacht. Et, au milieu de ces formidables joujoux, on peut s’éclater en incarnant des personnages formidables. Un dictateur par exemple ou, lorsqu’on est gentil, le résistant idéal, le héros puissance 40, le super héros. Le voilà, le rôle que tout le monde s’arrache!

Le Super héros

Le super héros évolue systématiquement dans un univers en crise. C’est la chienlit insécuritaire à Gotham, la menace d’une guerre génocidaire dans Xmen, la loi de l’argent et la corruption politique dans le New York de Spider Man (ok, rien de bien terrible dans ce dernier exemple, mais Peter Parker est puceau, soyons indulgent).
Plus intéressant encore, la crise dépasse parfois l’univers de fiction. En 1940, Look publie une planche où l’on voit Superman soulever Hitler par le colbac et le menacer d’une droite « strictement non aryenne ». L’affaire prend une telle ampleur que Goebbels, ministre de la Propagande nazie, lance cette exclamation: « Superman est juif! ».
Le super héros pourfend les salauds de fiction et provoque les bourreaux du réel.
Quoi de plus fantastique (surtout en période de paix, avec le chauffage bien pointé sur la puissance 3 du thermostat) que de pouvoir ressembler à ces personnages-là, bons et courageux? Ce nouveau BDSM abordable permet de jouer au héros entre adultes consentants.
Et nous, les femmes? À quels rôles pouvons-nous prétendre?
Supergirl? Batgirl? Tristes féminisations et transpositions ridicules. Catwoman? Poison Ivy? L’amoureuse magnifique Harley Quinn? Les bat-vilaines sont les personnages féminins les plus intéressants. Et Rubberdoll, avec son humour, avec ses accoutrements rouge et noir, avec ses accessoires lubriques rigolos, fait forcément penser à la petite chipie du joker: personnage sous-exploité et mon héroïne de B.D préférée toute catégorie confondue.

Mais, où trouve-t-on des femmes intéressantes du côté des gentils? Finalement, on n’en retient qu’une. Une seule. Wonder Woman!!! Cette super héroïne aux origines amazones (donc lesbienne si je reprends la théorie du duc de Jom Puan exposée dans son dernier article) fut longtemps considérée comme une féministe. De plus, rappelons ses armes principales: un lasso et des bracelets pare-balle. Cela ne vous évoque rien? Dans l’épisode 3, notre héroïne s’amuse à ligoter des femmes et à les habiller de fourrures. Toujours rien? Le très réactionnaire Fréderic Wertham comprit, lui, très rapidement, de quoi il était question. En 1954, le psychiatre publie The Seduction of The Innocent, un pamphlet moraliste contre les comics. Wonder Woman serait une affreuse féministe gouine adepte du bondage et appelant à la révolte du sexe faible. Bref, une héroïne qui aime le BDSM mais s’engage hors de son microcosme, pour la communauté. Merveilleux!

Le Fun ou le coup de pompe

Sortez capes, loups, sexrangs, superlubri, costumes moulants en vinyle ou latex, batgode, Hulkogram (complément alimentaire agrandisseur de pénis bien connu du monde du catch avec, pour seul effet secondaire, une coloration vert-morve du zizi lorsqu’il se fâche et trouve l’érection), spider-strings (en toile arachnide)… Imaginez-vous en Sex Buthor ou Misstric!
Ces jeux de mots à deux pièces rouges d’euros montrent tout de même comment le BDSM, devenu abordable, se charge de fun. Rubberdoll ouvre cette voie. Et, ces nouveaux pratiquants "normaux" peuvent désormais s’amuser sans aucun prout prout underground et sans s’obliger au sexe extrême.

Devenir un héros: l’apanage de l’âge juvénile, des babes en quelque sorte. Rubberdoll appelle à une révolution par le FUN! Un grand soir qui ne sera ni rouge, ni noir, mais rose!
Le peuple a terminé ses manifestations. Mais, ce mardi 7 décembre, nous allons retirer nos billes des banques. Je ne suis pas économiste, je n’y connais rien. Cantona est beau. Son appel m’enthousiaste. Le FUN triomphe du coup de pompe.
Retour côté jardin et art. La campagne de Bègles a tourné au fiasco. Serge Teyssot-Gay embrasse désormais l’oubli pour éviter la honte. De l’autre côté de la Garonne (proche de la place de la Bourse), son ex-ami (le frileux au dos en compote) continue de déblatérer ses sermons, et de récolter les royalties directement versées par Vivendi. Les moralistes au bûcher! Le peuple rock&roll a perdu son Templier, son Clerc préféré. Tant mieux. Fin de la flagellation permanente. Je salue au passage mes amies de la journée de la jupe. Le FUN triomphe du coup de pompe.
Quant à Rubberdoll… elle reviendra. Elle est la seule à rendre le coup de pompe FUN. Voilà son génie.
Coup de pompe à la chaîne. Les pompistes sont réapprovisionnés.
Coup de pompe pour regonfler notre super héroïne Rubberdoll.
Coup de pompe dans la gueule de ses ennemis. Coup de pompe dans sa propre gueule.
Coup de pompe. Je vais me coucher.


Milady d'Ivers