samedi 15 mai 2010

Rose, c'est Paris


Avant-tout-propos

Je dois prévenir mes lecteurs et anticiper ainsi, d’une certaine manière, les possibles reproches qui éventuellement et même, extraordinairement, pourraient m’être adressés. Je n’ai visionné ce film qu’une fois lors de sa diffusion sur Arte un dimanche soir. Le début m’a même échappé et mon état tertiaire (récupération d’un samedi + lever aux aurores pour me rendre à l’église) empêchait toute concentration véritable. Cependant, je fus immédiatement interpellée par cette œuvre et j’essaie ici d’en proposer une simple présentation. De plus, étant absente de Paris un certain temps, je ne peux me rendre à l’exposition et regrette l’inexistence d’un DVD à un prix abordable (support qui semble pourtant particulièrement adéquat à une œuvre filmique). Mais bon, allez demander à l’artiste d’avoir le capitalisme intelligent.



Nice Paris, Nice Betty, Nice People

Paris! Paris cadré! Paris monté! Paris travelingisé! Mais Paris réalisé! Réalisé par lui-même, réalisé par son peuple avec le concours des cinéastes de la France, avec l’appui et le concours du cinéma français tout entier c’est-à-dire du cinéma français qui crée, c’est-à-dire du seul cinéma français, du vrai cinéma français, du cinéma français éternel.

Dans Paris (bon), Paris je t’aime (pas bon), Paris de Klapisch (pire), Paris brûle-t-il? (historique), Paris Nympho (tellement supérieur aux quatre cités précédemment).
Et arrive le petit dernier, le bébé, fruit des entrailles de Bettina Rheims fécondées par la dense semence de Serge Bramly. Nice Betti esthétise le récit Bramlette et Bramlant. Elle photographie, il filme. L’ancien couple amoureux est recomposé.


Deux œuvres de Rheims sont connues du grand public: la photo officielle de Jacques Chirac président de la République Française et le clip vidéo du méga tube aérobicien Voyage, Voyage de Desireless. Mais Rheims c’est surtout le reportage photo sociolo-érotique (on se rappelle son enquête sur le milieu transsexuel). Cette fois, accompagnée de Serge Bramly, place à l’imaginaire!

L’enfant se nomme Rose, c’est Paris. Nous suivons les pérégrinations parisiennes de B à la recherche de sa sœur jumelle Rose, disparue on ne sait comment. B se transforme, se déguise, charge sa face de différents masques, son corps de moult costumes. Et, changée , cachée, elle effectue sa quête dans un Paris à la modernité goudronnée et la pierre décadente. Enquête? Voyage initiatique?
Le film prend rapidement la forme d’une galerie de portraits, d’une succession de situations réalisées comme autant de courts-métrages distincts les uns des autres. Et B, peu à peu, se perd dans sa schizophrénie dévorante. Sa recherche est un échec. Elle ne retrouve pas sa sœur. A-t-elle jamais existée? N’était-ce qu’un double?

Je t’aurai Fantômas, je t’aurai!!!

Comme nous le disions, B multiplie ses diverses identités afin de s’infiltrer dans les différents milieux sociaux qu’aurait fréquentés sa sœur. Rheims revendique l’influence du personnage de Fantômas créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain. L’appel à l’homme bleu saute au visage comme œuvre adorée des surréalistes, comme œuvre qui souffle au mauvais élève Klein son concept d’IKB, c’est-à-dire d’art bleu.
Cet héritage artistique, souvent pictural, fascine Bettina Rheims davantage que le personnage de criminel génial. Elle revendique la source par admiration des ruisseaux, préfère les dérivés à l’original et oublie même, sauf erreur de ma part, d’inclure à son casting Mylène Demongeot ( formidable fiancée blonde de Jean Marais dans l’adaptation ciné d’André Hunebelle avec en prime un De Funès fantastique).

Et si Betiramly se trompait de référence? S’il confondait Fantômas et Fantômette!
Et, pourquoi pas?
L’allégorisation des différents personnages féminins, c’est du Fantômette. Ficelle, meilleure amie de Fantômette, rêve, invente. Distraite, elle se fait sans cesse gronder par son institutrice Mademoiselle Bigoudi. Détestant l’Histoire de France, les mathématiques, l’orthographe, elle se passionne a contrario pour les princesses, l’Egypte, le squelette (non pour son aspect scientifique mais parce que sa bizarrerie lui permet de rêver). Ficelle, c’est la victoire de l’étrange sur la loi.

Pourtant, pas de bibliothèque rose pour Betiramly.
Pas de Ficelle, sauf celles des strings qu’arborent ces superbes modèles.
Ni méchants sympathiques, ni masques; mais des loups érotiques.
Pas de Framboisy (ville de Fantômette) mais Paris. Paris jaloux de Framboisy. Car Paris doit devenir cet espace hors du temps, tellement incompatible avec son statut de capitale de la France, de la Mode, du Goût, de l’amour. Alors, Bettina ruse. Elle choisit d’utiliser le noir et blanc et prive ainsi la Ville-Lumière de sa couleur (génial ou facile?). Elle ponctue son film de chapitres portant tous le nom d’un lieu parisien célèbre ou intime. Elle tente d’éloigner la ville de sa réalité. Son arme fatale, la légende urbaine.
Qu’est-ce qu’une légende urbaine? Une rumeur qui, tellement répétée, devient patrimoine culturel. Ainsi, ces histoires, souvent effrayantes, intègrent un folklore plus ou moins sympathique. Modernité oblige, ces légendes sont de plus en plus diffusées par le biais d’internet. N’avez-vous jamais entendu parler du « sourire de l’ange » ou de la piquouse infectée du virus du SIDA laissée sur un siège de manière à contaminer le prochain cul?
B, avec sa bande de punks et petites frappes en tout genre, empoisonne des roses qu’elle vend aux amoureux transis. Fantômas, Fantômette, Poison Ivy, Batman? La liste des personnages « absents » se fait plus longue que celle des présents. Il est là, le parfum formidable.

Paris sert de réservoir.
Il est l’espace des possibles mais en aucun cas, ne devient central. N’importe qu’elle autre mégapole aurait fait l’affaire. Rheims choisit la capitale de son pays, nous ne nous en plaindrons pas et disons merde au roi d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre!

Paris n’est pas le sujet, la chatte et les nibards, si

Les femmes sont trop présentes pour laisser, même à une ville comme Paris, une pointe d’intérêt. L' oeil se trouve sans cesse capturé par l’érotisme noir et blanc. Le cerveau, lui, compare les corps et choisit ses préférés du moment. La distance critique, enfin, admire un casting proche de la perfection.


Laissons tomber l’actrice qui porte merveilleusement le double rôle de B/Rose.
Observée. Jugement: formidable. Impossibilité de re-visionnage. Commentaire impossible.
Cette actrice ressemble étrangement à Jaime King, interprète de la blonde Goldie dans Sin City. Rose, c’est Paris, je dois l’avouer, m’a rappelé l’épisode où Mickey Rourke, alias Marv, veut venger sa Goldie. La gémellité ( B/Rose dans l’un, Wendy/Goldie dans l’autre), la blondeur, la quête (ou vengeance), les bombes sexuelles en noir et blanc; autant d’éléments présents dans l’univers de Miller.
Voici l’unique propos que je tiendrais sur la protagoniste.

Revenons plutôt sur la performance d’artistes que je connais mieux.
Nina Roberts, Flo d’Esterel, Axelle Mugler, Angell Summers, Milka Manson.
Bref, le club des cinq réconcilié. Oubliées les tensions, petites piques et crêpages de chignon entre Flo d’Esterel et Angell Summers. La blonde à gros seins n’hésitait pas à tailler une guêpière à sa collègue blonde à petits seins. Le récent Hot D’Or obtenu par cette dernière avait sans doute attisé toutes les jalousies et convoitises. Cette fois, la hache de guerre est enterrée et ceci, sans doute, grâce aux efforts incommensurables de Nina Roberts pour encadrer le conflit de ses deux cadettes. La jeunesse allait trouver sa maman.
Ici, le numéro des cinq actrices pornos frôle la perfection. Dominé par Nina, le groupe évolue en dessous chics qui, n’en déplaisent à Gainsbarre, dévoilent beaucoup. Attitudes des corps, regards fixes, poses inconfortables, maquillage sombre, chat à neuf queues, cuir rock’n’roll, épingles et clous punks mais fauteuils voltaire, tableaux de Moreau et bronzes Goudot. Porno rock? Porno fin-de-siècle? Les deux mon capitaine. Génial!
Nina et ses autres sirènes mènent le bal sado-chic avec maestria et distinction. Car le fouet, dans Rose, c’est Paris, a ses embouts matelassés. Rheims et Bramly atténuent sans cesse la violence. L’esthétisation maximale des situations conflictuelles, ou de combats, ou de dangers; poussent à un étouffement de la peur ou du rejet que devrait ressentir le spectateur. Les nibards sont jolis et les coups, en plus, ne font même pas mal.

Le Guest

Naomi Campbell, Valérie Lemercier, Charlotte Rampling, Jean-Pierre Kalfon, Monica Bellucci, la sœur de Lio, Inès Sastre, Lénine, Maurice Szafran, Louise Bourgoin, Michelle Yeoh…

Guest stars = invités qui apparaissent et que tout le monde est content de retrouver: « Oh! Regarde! C’est Valérie Lemercier! Qu’est-ce qu’elle fait dans ce film? Elle est vraiment trop cool cette meuf! »

Content:

Le public retrouve des visages qu’il connaît. Cela le met toujours en joie et en plus, il trouve cela très très drôle.

L’artiste guest peut modeler son image médiatique sans gros travail. Un acteur trop grand public va par exemple s’empresser d’apparaître dans un film d’art et d’essai.

Le réalisateur-hôte ajoute de la valeur ajoutée à son film, s’éclate à diriger une star et conserve un budget équilibré.


Pas content.
Le critique ouvre les guillemets et lance sa tirade ( à prononcer avec un ton pédant):
« Franchement, Bettina Rheims m’avait habitué à des choix esthétiques bien plus marqués. D’ailleurs ne commettrait-elle pas une erreur facile en utilisant tous ces invités? Je sais que cela plaira au public plébéien mais moi, en tant que spectateur intelligent, et je le dis sans pédanterie ni sentiment aucun de supériorité par rapport à mes semblables (d’ailleurs je suis socialiste); je déteste ces procédés faciles. L’utilisation de la « guest star », j’ emploie ce mot à regret vous le comprenez bien les amis. Les anglicismes et cet américanisme triomphant, globalisant… bah, caca. Enfin, bref, ces apparitions de personnalités célèbres prouvent que Bettina Rheims favorise le tape à l’œil au détriment de la cohérence diégétique. »

La célébrité qui n’est pas dans le film estime que le casting est très mauvais et que ses collègues ne parviennent pas à « apporter réellement le supplément d’âme qui fait que l’acteur s’extirpe de sa pauvre condition d’acteur pour élever son art au-delà d’une certaine qualité. Une certaine qualité d’homme par exemple. Essence même de la condition artistique. » (à prononcer avec un ton pédant mais un peu moins que précédemment).

Le réalisateur non-hôte se rend compte que ses chambres sont vides et pleure.

Enfin, qui est guest star? Prenons l’exemple d’Ally Mac Tyana. Elle devient guest star si l’on considère son formidable travail d’actrice dans Gradiva sous la direction d’Alain Robbe-Grillet ( père du nouveau roman, grand personnage de la littérature et de l’art français, immortel puisque ancien membre de l’académie française). Si, au contraire, on préfère rappeler son travail avec John B. Root, elle retombe malheureusement dans la catégorie des actrices « normales ». Et croyez bien que je le déplore.

Je me suis désaltérée à la vue de cet étonnant spectacle, rassasiée même, car, aussi étonnant que cela puisse paraître, Bettina Rheims parvient à marier ferme et ville. Elle nous fait picorer ses situations parisiennes. Bravo ma cocotte.



Milady d’Ivers

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